Trois départs de directeurs de théâtres publics : que disent ces départs de l’état du théâtre public en France ?
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Trois départs de directeurs de théâtres publics jettent une lumière crue sur leur difficulté à maintenir des programmes artistiques en plus de l'entretien des bâtiments et de leurs missions auprès des habitants.
- Martial Poirson, historien, professeur d'histoire culturelle à l'Université Paris 8-Vincennes-Saint Denis
L’annonce de Wajdi Mouawad directeur de la Colline de ne pas finir son mandat hier fait suite à deux autres défections : Stéphane Braunschweig a quitté l’Odéon en 2024 et Jean Bellorini, directeur du Théâtre National Populaire de Villeurbanne s’arrêtera en décembre 2026.
Que disent ces départs de l’état du théâtre public en France ? c’est le dossier du point Culture du jour.
Martial Poirson, professeur des universités à Paris 8, spécialiste de politique et d'économie de la culture croit que "c'est le symptôme de plusieurs choses antérieures à cette période. Le cri d'alarme est arrivé des compagnies. Des gens comme Joël Pommerat [auteur et metteur en scène], dès 2023, alertaient sur la question de la pénibilité des conditions de travail, des réductions de temps de répétition, des réductions de temps d'exploitation des spectacles. " Joël Pommerat d'ailleurs a toujours refusé de prendre la direction d'un lieu. Le chercheur cite aussi l'exemple d'Ariane Mnouchkine [metteuse en scène et directrice du Théâtre du Soleil] "qui a énormément communiqué sur ces questions-là."
Les récentes annonces de non-candidatures de directeurs de théâtres publics à leur propre succession, ou de départs anticipés, rappelle Martial Poirson, concernent "des directeurs de théâtre qui ont été en responsabilité depuis fort longtemps. Stéphane Braunschweig, a dirigé pendant huit ans le Théâtre national de Strasbourg. Il a dirigé pendant six ans le Théâtre national de la Colline, et était dix ans à l'Odéon. C'est donc quelqu'un qui a un quart de siècle de responsabilité sur des grands établissements, et qui prend acte du fait qu'il n'est plus en mesure d'honorer le cahier des charges face à des injonctions des institutions publiques qui demandent de faire toujours plus avec toujours moins de moyens."
Pourtant, le budget du théâtre de l'Odéon, théâtre national à Paris, semble assez conséquent. Comment expliquer alors que Stéphane Braunschweig a dit en partant qu'il n'avait plus assez de marge artistique pour programmer ou créer ? "On pourrait se dire à première vue que des établissements comme l'Odéon ou la Comédie Française, qui a été également très fortement impacté par l'austérité budgétaire, sont dans un confort relatif", concède Martial Poirson, avant de préciser que de tels théâtres, "ce sont des équipes lourdes, des établissements patrimoniaux avec une mission d'entretien du patrimoine, plusieurs salles, une programmation très importante, des accueils d'artistes étrangers et surtout des missions sociétales très ambitieuses".
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À cela s'ajoutent des raisons plus conjoncturelles, avec des baisses notables de subventions. "Le Théâtre de la Colline, c'est quand même 500 000 € de dotations en moins cette année [...]. Le Théâtre national populaire s'est vu amputer de 350 000 € par la région" à quoi s'ajoute une injonction faite à ces théâtres à rechercher des fonds propres. Une somme de difficultés qui contrastent avec une période où "la France était le pays d'attractivité pour beaucoup d'artistes d'Europe et au-delà". En effet, le pays "laisse maintenant partir ses artistes, faute de pouvoir leur donner des moyens de travailler". Martial Poirson rapporte enfin les propos de Jean Bellorini, qui quittera le Théâtre National Populaire de Villeurbanne pour prendre la direction du Théâtre de Carouge en Suisse : "Je suis arrivé au Théâtre National Populaire en pensant reprendre la grande aventure de mes devanciers. Et puis j'ai l'impression de devenir un chef d'entreprise."