Conclave ou pas conclave ?

Sur la Paix, comme sur la répartition des richesses (salaires, moyens de services publics, moyens pour sauver l’industrie, et même moyens pour partir en retraite à 60 ans ou plus tôt), nous allons devoir construire un nouveau mouvement de grande ampleur, encore plus vaste et encore mieux coordonné que celui de 2023.

Laurent Brun

Conclave ou pas conclave ?

 

 

Laurent Brun

Tout d’abord cette expression est tout à fait inappropriée. Un « cum claves » signifie une réunion où les participants sont enfermés à clef. C’est le cas des cardinaux lorsqu’ils doivent élire un nouveau pape. Que Bayrou, tout à ses délires religieux, utilise cette référence ne m’étonne pas. 

Que ,des gens de gauche la reprennent, manifeste une certaine mauvaise foi.

Personne n’est enfermé et l’information de ce qui s’y dit est largement accessible (dans les média ou dans les comptes rendus des organisations qui y participent).
Il s’agit d’une concertation bilatérale entre les organisations patronales et les organisations syndicales, sous le parrainage du gouvernement.
 
D’où vient cette concertation ?
 
De la réforme des retraites promulguée le 14 avril 2023.
C’est le grand chantier d’Emmanuel Macron : Après son élection de 2017, il échoue grâce à notre lutte à imposer un système à points. 
En 2022, après sa réélection, il relance un projet de réforme pour passer de 62 à 65 ans l’âge de départ en retraite.
 
La bataille a commencé fin 2022 !
 
Je ne reviens pas sur l’ensemble du conflit que nous avons organisé, mais il faut en retenir 2 choses :
 
- la réforme n’a jamais été votée à l’Assemblee Nationale
 
- elle a donnée lieu à un mouvement unitaire massif qui illustrait l’opposition de la population. Malgré la promulgation de la loi, la mobilisation a continué plusieurs mois ce qui est très rare.
 
La CGT a tout fait pour que le Gouvernement ne puisse pas passer à autre chose. Des actions ont été organisées, et avec différents groupes politiques, des RIP (référendum d'initiative partagée) ou des projets de loi d’abrogation dans le cadre de leur niche parlementaire ont été déposés. Si bien que, lorsqu’ Emmanuel Macron dissout l’Assemblée en juin 2024, le sujet de la réforme des retraites est toujours vivace dans la campagne électorale. Il contribue même à la chute du Gouvernement Barnier. 
 
La CGT continue à agir pour ne pas laisser la fatalité s’installer. L’austérité et la désindustrialisation qui repartent de plus belle, marquent la fin 2024, mais la CGT, tout en dénonçant les plans de casse de l’industrie, maintien le sujet des retraites dans ses priorités. Elle œuvre pour maintenir la position de l’intersyndicale sur le mot d’ordre de l’abrogation qui était commun pendant le conflit. Elle continue à travailler sur des projets de loi d’abrogation (dont une sera déposée par le Groupe Communiste le 5 juin 2025 dans le cadre de sa niche parlementaire).
 
Le conflit a fêté ses 2 ans !!! Il faut une organisation comme la CGT pour permettre de maintenir cette pression, alors que bon nombre de citoyens sont devenus fatalistes.
 
Arrive Bayrou. Pour ne pas traîner cette réforme comme un boulet, il annonce le « conclave ». 
Il espère qu’une partie des organisations syndicales s’entendra avec le patronat pour atténuer sans abroger la réforme (il se murmure que le patronat pourrait accepter 63 ans en échange de l’ouverture à la capitalisation). Après que le gouvernement Barnier a insisté sur la « faillite » du pays, et que la propagande gouvernementale a permis de développer une nouvelle psychose sur l’état des finances publiques, Bayrou ment sur le déficit supposé du régime général, et le patronat propose la capitalisation comme un moyen de trouver de l’argent frais. 
 
Pour faciliter le compromis, Bayrou invente aussi une nouvelle configuration : ce ne sont plus seulement les « représentatifs » qui sont invités, et ce ne sont pas toutes les Organisations Syndicales. Il veut intégrer l’UNSA et la FNSEA, mais refuse la FSU et Solidaires.
 
Certains camarades, à l’image d’un parti politique, voudraient adopter une simple posture de refus. Le Gouvernement aurait les mains libres, et selon moi cela revient à chercher refuge dans la perspective d’une censure et d’un nouveau président de la république pour nous sauver. Je n’y crois pas trop. En tout cas, pas en développant la politique de la terre brûlée.
 
La CGT consulte ses organes de direction et décide de participer à la concertation pour démonter le piège et exiger l’abrogation.
Cette participation permet :
- de rendre compte en transparence de ce qui se dit ;
- de jeter à la poubelle la nouvelle configuration. L’UNSA et la FNSEA ne participeront pas aux réunions générales… l’objectif de compromis subit un premier accroc ;
- de démonter les arguments économiques du gouvernement : il n’y a pas de déficit caché, la réforme de 2023 n’a servi à rien, et il y a bien d’autres moyens de financer les pensions même avec un retour à 62 ans ;
- de rappeler régulièrement l’exigence d’abrogation, de manière unitaire (et même l’objectif de retour à 60 ans pour la CGT).
 
En parallèle, la CGT organise de nouvelles actions : 
- le 8/03 pour l’égalité femmes-hommes en y ajoutant les retraites,
- le 20/03 pour dire que les retraités ne veulent pas payer la réforme par de nouvelles coupes dans leurs pensions, et par l’encouragement de mouvements sectoriels pour arracher des départs anticipés (ex : mouvement organisé par la fédération des Ports & Dock avec une grosse opération Ports morts fin mars).
 
Nous sommes toutefois au creux de la vague, avec une colère réelle mais aussi des inquiétudes et des préoccupations (plans sociaux) qui rendent difficile la mobilisation. La CGT multiplie donc les échanges en internes pour trouver la bonne manière de relancer plus largement le combat.
 
Nous en sommes là aujourd’hui.
 
Les camarades qui continuent à parler de « conclave » pour exiger qu’on en sorte, font-il preuve de radicalité ? Pas vraiment puisqu’ils n’organisent pas d’action pour montrer la disponibilité des masses. Certains se défendent même en disant que la participation au « conclave » empêche l’action. lol.
Rien n’empêche les salariés d’agir lorsqu’ils sont déterminés. Le rejet du « conclave » est pour moi une posture de facilité, et aussi toujours cette stratégie du Deus Ex Machina « censure / démission Macron / président providentiel ».
Fo est sorti de la concertation sans en informer les autres OS et sans donner aucune perspective de lutte. Peut être parce que sa posture répond à d’autres objectifs : d’abord ça lui permet de garantir son unité interne en donnant des gages à sa fraction issue du POI ; ensuite ça sert le patronat qui ne veut plus vraiment de compromis, et encore moins d’abrogation.
 
Dans le trimestre qui s’est écoulé, le contexte international évolue vite. Trump prend le pouvoir aux USA le 25 janvier 2025.
L’internationale d’extrême droite prend rapidement de l’ampleur et la politique agressive de Trump provoque un nouveau glissement en France : nous passons de l’hystérie de l’austérité pour cause de faillite, à l’hystérie de l’économie de guerre pour cause de menace à nos portes.
 
Le Medef, qui n’envisageait un compromis que sous la pression d’un conflit de 2 ans et seulement pour éviter l’abrogation, voit dans ce contexte une opportunité : plus question de compromis quand il se croit en position de force du fait de cette pression à droite. Non seulement il veut la capitalisation, mais il veut désormais le passage à 65, voire 67 ans de l’âge de départ. 
 
La concertation devient donc un boulet, puisqu’aucune OS n’acceptera de valider un ANI (Accord National Interprofessionnel) pareil. Il lui faut une nouvelle réforme du gouvernement pour atteindre son objectif. 
 
Il faut donc faire exploser la concertation.
Je prend la déclaration de Bayrou sur le refus du retour à 62 ans comme une confirmation de cette analyse. Il fait certainement cette provocation sous injonction du patronat.
 
Il est probable que les concertations soient mortes du fait de la radicalisation du patronat.
La CGT va faire comme à chaque fois : elle va consulter ses organisations pour décider de la conduite à tenir.
 
Pour ma part, je pense qu’on mobilisera d’autant mieux qu’on montrera toute la complexité de la situation, parce que ça permet de montrer toute l’importance et toute l’efficacité de se mobiliser fortement. Nous devons finaliser le conflit de 2023 en abattant la réforme des retraites pour montrer que la lutte gagne. C’est un chemin particulièrement difficile dans un contexte réactionnaire. Mais il ne faut céder à aucune simplicité.
 
Sur la Paix, comme sur la répartition des richesses (salaires, moyens de services publics, moyens pour sauver l’industrie, et même moyens pour partir en retraite à 60 ans ou plus tôt), nous allons devoir construire un nouveau mouvement de grande ampleur, encore plus vaste et encore mieux coordonné que celui de 2023.
 
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