Les quatre impasses du RSA sous conditions, désormais généralisé

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Par Audrey Fisné-Koch

06 Janvier 2025

 

 

 

 

 

 

Depuis le 1er janvier, tous les allocataires du revenu de solidarité active doivent effectuer quinze heures d’activité par semaine. Une mesure généralisée alors que son expérimentation est critiquée par plusieurs rapports.

 

Le 1er janvier est souvent synonyme de changements : bonnes résolutions, potentielles revalorisations salariales… et entrée en vigueur de nouvelles réglementations.

 

Dans cette dernière catégorie, ce début d’année 2025 marque le coup d’envoi de la généralisation du RSA (revenu de solidarité active) dit « rénové ». Concrètement, dans le cadre de la loi plein-emploi, il a été acté que pour bénéficier de cette aide (635,71 euros par mois pour une personne seule), les individus doivent désormais réaliser au moins quinze heures d’activités par semaine.

 

Problème, les critiques s’accumulent contre cette conditionnalité. Et elles ne sont pas gratuites puisqu’elles se basent sur l’expérimentation qui a été menée ces derniers mois dans plusieurs territoires. Pour rappel, dès 2023, des bassins de vie situés dans 18 départements ont testé le dispositif. Avant un élargissement à 47 départements à partir du 1er mars 2024.

 

Comme nous l’avions dévoilé dans un article précédent, un rapport, réalisé en juillet par deux cabinets mais initialement non publié, avait mis en lumière de nombreuses limites de l’expérimentation du RSA rénové (faible retour à un travail durable, manque de moyens financiers pour le suivi, référentiel peu clair pour les quinze heures d’activités hebdomadaires…).

 

Dans un autre document, publié fin octobre, les associations ATD Quart Monde, Secours catholique et Aequitaz alertaient à leur tour sur les risques que présente la réforme. En se basant sur les témoignages de professionnels de l’insertion et des allocataires du RSA ainsi qu’une veille documentaire réalisée à partir des chiffres de France Travail, des préfectures et d’enquêtes journalistiques, les associations ont identifié de nombreuses limites, qui avaient d’ailleurs été largement anticipées par des expertes et experts du sujet.

 

1/ Travail gratuit et substitution

 

Premier danger, la transformation potentielle des heures d’activité en pur travail gratuit. « Ce risque n’est pas nouveau, explique Maud Simonet, directrice de recherche en sociologie au CNRS. On l’a constaté à chaque mise en place de logiques de contreparties, notamment aux Etats-Unis1. On le décèle en France aussi, surtout dans un contexte de restrictions des ressources pour les services publics. »

 

Le rapport d’Aequitaz - ATD Quart Monde - Secours catholique abonde en ce sens, en s’appuyant sur ce qui s’est passé dans certains territoires pendant l’expérimentation. A Villers-en-Vexin (Eure) par exemple, le maire de la ville, « [n’ayant] pas les moyens d’embaucher du personnel » pour entretenir le cimetière communal, a fait travailler quatre bénéficiaires du RSA, indique le rapport.

 

En Mayenne, les associations observent que le département a mis en place un « volontariat reconnu [...] puisqu’il faut faire des heures ». Concrètement, les allocataires sont invités à réaliser des heures de bénévolat au sein d’associations en contrepartie d’une attestation d’expérience de compétences.

 

« En le présentant comme un dispositif, parmi d’autres, de son offre d’insertion, le département participe d’une dévalorisation du secteur de l’insertion, assuré par des professionnels formés et qualifiés », commentent les auteurs de l’étude.

Les associations craignent donc un détournement du projet d’insertion des privés d’emploi, puisqu’en l’occurrence, il n’est pas question de les embaucher après une activité professionnelle telle que l’entretien du cimetière de la ville. Sans compter, bien sûr, la concurrence que ces heures d’activité font aux emplois réels.

« Aujourd’hui, rien ne permet de limiter le risque de substitution de ces activités à de véritables emplois », soulignent les associations.

En d’autres termes, pourquoi payer un salarié pour ce travail alors que des allocataires le font gratuitement ?

 

2/ Un accompagnement infantilisant, dicté par un algorithme

 

Un autre danger, pointé dans le rapport des trois associations, concerne l’accompagnement des allocataires. Lors de l’expérimentation, l’orientation des personnes au RSA se basait sur un prédiagnostic réalisé par traitement algorithmique. Voilà qui pose plusieurs questions :

« Quels sont les critères appliqués par l’algorithme ? Comment ont-ils été définis ? Et qui a élaboré cet algorithme ? », s’interrogent les associations.

 

Les doutes sont d’autant plus légitimes que de récentes enquêtes, réalisées notamment par l’association La Quadrature du Net, ont mis en lumière des biais discriminants et un surcontrôle lorsque des prestations sociales s’appuient sur un algorithme.

 

Cela participe à une « déshumanisation de l’accompagnement social », selon les associations. Qui ajoutent que « l’automatisation de l’orientation des allocataires du RSA vers un organisme référent augmente le risque que les personnes soient orientées dans un parcours qui ne soit pas adapté à leur situation ».

 

C’est aussi ce que craint la fédération des organismes sociaux, fédération syndicale CGT qui regroupe des professionnels du secteur. Elle dénonce ainsi des « outils facilitant la contrainte et se substituant à un réel accompagnement en présentiel, régulier, avec un conseiller ».

 

3/ Davantage de non-recours…

 

« Déjà, nous, bénéficiaires du RSA, c’est déjà pas facile, parce qu’on se sent fliqué. On essaye de faire au mieux, on donne au mieux, on fait nos démarches… Donc, on va aller où, là ? », s’interroge un allocataire dans le rapport Aequitaz - ATD Quart Monde - Secours catholique.

 

Il résume une autre crainte relayée par le rapport : devoir justifier de quinze heures d’activités, c’est devoir davantage rendre compte, avec le risque que les personnels qui accompagnent les bénéficiaires les infantilisent.

 

Une inquiétude d’autant plus légitime que si les quinze heures d’activité ne sont pas faites, ou mal faites, les allocataires encourent des risques de sanctions, voire de radiations. Interrogé par l’association des journalistes de l’information sociale (Ajis) fin novembre, Thibaut Guilluy, directeur général de France Travail, a lui-même redit que les contrôles allaient se poursuivre.

 

D’ici 2025, ses équipes devront effectuer 600 000 contrôles. Un chiffre qui s’élèvera à 1,5 million d’ici 2027. Cette stratégie n’est hélas pas surprenante dans un contexte où les services publics de l’emploi sont affaiblis par les coupes budgétaires (des suppressions de postes ont ainsi été annoncées à France Travail). Dans l’Eure, le département a « clairement annoncé son objectif de baisser de 3 000 le nombre d’allocataires du RSA d’ici 2028 », notent les associations dans leur rapport.

 

Davantage de contrôles, cela veut dire potentiellement plus de radiations. Et donc des économies pour ceux qui versent l’allocation (les départements) et une moindre charge de travail pour ceux qui ont perdu des moyens (France Travail). Pour les associations, la baisse du nombre d’allocataires constitue clairement un « levier pour dégager des moyens financiers afin de maintenir de bons ratios d’accompagnement ».

 

Mais cette politique du chiffre a des effets économiques et sociaux néfastes. Plusieurs études ont ainsi montré que les contreparties demandées à des allocataires augmentent le taux de non-recours aux prestations sociales. Dans le cas du RSA, il atteignait déjà 30 % avant la réforme. Sa généralisation a toutes les chances d’exacerber la situation :

« Le Secours catholique le constate dans ses statistiques avec une hausse, en un an, de 10,8 % du non-recours au RSA dans les départements qui expérimentent la réforme, quand il recule au contraire de 0,8 % dans les autres départements sur la même période », peut-on lire dans le rapport.

 

A terme, le découragement des bénéficiaires peut mener à une détérioration de leur situation (insécurité alimentaire, perte de logement), ajoutent les associations.

 

4/ …mais pas forcément plus d’emplois durables

 

Tous ces risques en valent-ils la chandelle ? Après tout, on pourrait estimer que la fin (obtenir un emploi durable) justifie les moyens. Hélas, même sur ce point, le bât blesse.

 

Comme l’avait déjà établi un autre rapport et comme le confirme le document publié par Aequitaz, le Secours catholique et ATD Quart Monde, les résultats ne sont pas bons. Les contrats signés par les allocataires dans le cadre de la réforme sont « essentiellement des contrats de moins de six mois dans des secteurs en tension aux conditions de travail difficiles », notent ainsi les associations.

 

Le taux moyen d’accès à l’emploi durable pour les allocataires, six mois après leur entrée dans le parcours, est d’environ 17 %, selon France Travail. Ce chiffre varie certes un peu d’un territoire à l’autre (22 % dans la Somme, 13 % dans les Vosges ou dans les Pyrénées-Atlantiques). Mais les résultats ne sont vraiment probants nulle part.

 

Ces chiffres ne sont malheureusement pas très surprenants, dans la mesure où le risque de radiation peut pousser les bénéficiaires à se tourner vers des emplois précaires ou qui ne leur correspondent pas.

 

En somme, concluent les associations, « pousser les personnes à enchaîner des petits boulots de subsistance qui ne respectent ni le métier, ni le projet professionnel, ni le temps de travail souhaité, ni le niveau de qualification de la personne, est un immense gâchis humain en plus d’être inefficace en matière de lutte contre la pauvreté ».

 

Un constat qui confirme ce que d’autres chercheurs avaient déjà établi pour les mesures de contrôle imposées aux demandeurs d’emploi.

 

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